EVANGILE & LIBERTE Grenoble

Le Cercle www.evg-lib-Grenoble.fr revendique son appartenance au protestantisme libéral. Membre de l’Église Protestante Unie de Grenoble, il se veut ouvert à tous, croyants ou non croyant, sans volonté de faire du prosélytisme mais avec le désir de susciter le partage de la réflexion.

Du repli religieux à la mort de Dieu

 

Il y a une perte de l’emprise de la religion sur la société. La cause invoquée est la modernité associée en priorité à la notion de progrès. Les philosophes des Lumières au XVIIIe  ont cru que par l’exercice de la raison et par l’éducation, l’humanité parviendrait à un âge d’or grâce aux efforts de l’homme débarrassé de sa dépendance aux institutions religieuses. Il faut noter que, tout en prenant leurs distances avec les Églises, ces philosophes croyaient en général en Dieu et avaient une foi personnelle.  
Au cours du XIX e les penseurs vont aller plus loin encore et s’en prendre à Dieu lui-même qu’ils veulent chasser des préoccupations pour créer les conditions de l’avènement de l’âge d’or, à l’aide de la raison, des progrès scientifiques, du développement des techniques.         

Sources judéo chrétiennes du mythe du progrès 

L’idée de progrès avait pour origine le judéo christianisme. Dieu n’avait-il fait la promesse à Abraham de conduire le peuple hébreu dans une terre où coule le lait et le miel (Exode 3,8) ? Par la suite les prophètes ont annoncé la venue d’un Messie sauveur. Isaïe avait annoncé qu’un jour viendrait où « le loup et l’agneau paîtront ensemble » (Isaïe 65, 19-25). Puis, comme le note Frédéric Lenoir, « à partir d’Augustin se développe une théologie de l’histoire conçue comme une maturation pédagogique : Dieu éduque progressivement l’humanité, tel un individu, pour le conduire à la pleine maturation ». [1] C’était le germe de l’idée de progrès.

Ce mythe du progrès s’est effondré à cause de la seconde guerre mondiale, de l’usage de la bombe atomique sur Hiroshima, du goulag. Les sociétés modernes semblaient hélas être devenues  de plus en plus  barbares encore. Telle est la prise de conscience de la post modernité.

La post modernité désacralise tout   

La post modernité est la manifestation de cette désillusion à l’égard des idéaux humanistes de la modernité. Elle a dénoncé la capacité de la modernité à aboutir à l’âge d’or comme le mythe du progrès l’affirmait possible. Les valeurs que la société moderne considérait comme fondamentales ont été dénoncées comme peu crédibles. Le travail, la famille, l’école et même la politique ont été désacralisés. Si l’on parle de désacralisation c’est parce que ces valeurs étaient héritées de la religion. Elles avaient été sécularisées, c’est-à-dire, comme le dit Jean-Paul Willaime, l’objet d’un transfert de tutelle. Autrefois sous l’autorité de l’Église, elles ont été peu à peu placées sous l’autorité de l’État, comme ce fut le cas pour les écoles, de certains bâtiments appartenant à l’Église. Le Code civil de Napoléon (1804) a repris à son compte la conception de la famille, du rôle mineur de la femme, de l’autorité paternelle sur l’enfant qu’avait imposée l’Église. C’était bien une sécularisation des valeurs portées par le christianisme.
             Depuis maintenant quelques décennies, que ce soit la famille, l’école, le travail et même la politique, ces notions qui avaient été totalement sécularisées, ont été désacralisées et vidées de l’idéalisation dont elles étaient l’objet. Le mouvement de modernisation qui avait touché le secteur religieux atteint maintenant les institutions laïques. Un basculement s’est opéré. La modernité s’opposait en particulier au catholicisme dominant. Voici que maintenant c’est la modernité elle-même qui est l’objet des critiques qu’elle adressait à la religion. Politique et science sont comme le disait Max Weber, désenchantées. Elles ont perdu leur caractère sacré.

Les effets de la sécularisation

Le fonds culturel chrétien avait persisté en occident. Cela se manifestait dans le droit, les mœurs, l’éthique. Ce fonds chrétien qui s’était sécularisé, a été terriblement mis en question ces cinquante dernières années. La modernité achevait le nettoyage du fonds religieux. Cependant c’était en même temps une mise en question fondamentale des bases laïques de la société. Cela se concrétise par une véritable révolution sociale. Tous les fondements catholiques de la société sont contestés, Le problème posé à la société civile est de remettre en place une armature symbolique à la société. L’État en était responsable. Il a failli en espérant que le libéralisme économique prendrait le relais grâce à la mondialisation.  

L’ultra modernité, dépassement de la post modernité

Jean-Paul Willaime prolongeant la réflexion d’Antony Giddens, parle « d’ultramodernité ». La modernité est désenchantée, dépouillée de l’espérance qui l’habitait. « Les Européens refusent le menu religieux  que proposent les Églises au profit d’un religieux à la carte où chacun puisant ici ou là, compose l’univers religieux qui lui convient »[2]. Ainsi le religieux demeure mais il ne structure et ne contrôle plus l’imaginaire social. Il y aurait donc une possibilité de réhabilitation individuelle et culturelle du religieux dans une société de plus en plus sécularisée. Toutes les structures de la société du XIX e ont été mises à bas. Elles sont toutefois restées culturellement chrétiennes. Mais ce fondement religieux qui a été sécularisé,  a été depuis trois ou quatre décennies terriblement ébranlé, que ce soit par exemple en ce qui concerne la sexualité, la famille, l’État nation, le travail. Est-ce à dire que le religieux a totalement disparu ? Non, mais il est individualisé, hors dépendance aux Églises.

Réhabilitation individuelle du religieux par l’individu ultramoderne

« Les religions dit Willaime, sont des systèmes symboliques à travers lesquels les hommes et les femmes expriment leur condition humaine et disent le sens de leur vie, de leur solidarité, de leur mort, de leur rapport au passé et à l’espace, du sens qu’ils donnent au bonheur et au malheur »[3]. Si par le passé, les Églises étaient porteuses et dispensatrices du sens de l’existence des fidèles, il n’en est plus de même. C’est l’individu ultramoderne qui cherche à donner un sens à ce qu’il vit. Il n’adhère guère aux dogmes car il a refusé l’héritage transmis par les Églises. Toutefois, dans une société de plus en plus sécularisée, il fait des choix et personnalise ses adhésions spirituelles, ce qui lui permet de s’orienter dans une société de plus en plus pluraliste.  

La révolution du croire selon Marcel Gauchet

« La politique ne peut plus prétendre à la globalité qu’elle devait à l’ambition d’offrir une alternative à l’hétéronomie; elle ne peut plus se présenter comme une réponse en elle-même à la question du sens de l’existence à l’échelle collective. … Elle n’admet que des réponses individuelles »[4]. La vie publique ne peut plus en effet constituer une fin en elle-même. La faculté de  fournir une idée de l’ensemble du monde et de l’homme passe maintenant aux individus. Gauchet considère que la contribution des religions s’avère indispensable à la reconstruction de l’individu. Ce dernier est en demande. Cette demande n’est pas un retour au religieux d’autrefois qui imposait sa vision. C’est une quête individuelle du sens à donner à son existence. Il y a, dit M. Gauchet, renversement copernicien de la conscience religieuse. La foi religieuse devient « un produit de l’esprit humain au service des finalités toutes terrestres». «  C’est de nous que part le ressort de la croyance, et c’est à nous qu’il revient- mais c’est une raison de plus pour croire et, peut-être la meilleure. »

Une réponse possible d’un protestant réformé

L’hypothèse de l’ultra modernité proposée par Jean Paul Willaime  permet l’espérance en dépassant le pessimisme de la post modernité. Tout comme le précise Marcel Gauchet, s’il n’y a pas de retour du religieux sous sa forme traditionnelle passée, cela signifie qu’il y a une forme particulière individualisée de la religion.  Toutefois la perspective de M. Gauchet  fait table rase de toute référence à une quelconque transcendance. La quête religieuse dont il parle émane du sujet. Le libéralisme théologique du XIX -ème siècle y trouverait sans doute son compte. Mais ne devrait-on pas alors parler d’humanisme plutôt que de religion ? Cela pose la question de la révélation. Si l’on ne conçoit le fait religieux que suscité par une intervention divine, la question de la certitude de la possibilité effective de l’intervention divine se pose. Dans le catholicisme, la présence de l’hostie lors de la célébration de l’eucharistie se veut démonstration de la présence effective de Dieu dans la personne du Christ. C’est donc l’institution de l’Église qui assure la vérité de la présence rituelle. Dans le protestantisme, c’est la Bible qui est la référence car elle permet au fidèle de vivre par la foi la rencontre avec Dieu. Cette rencontre n’est pas vécue de façon subjective comme c’est le cas chez les pentecôtistes et les évangéliques. Elle se manifeste simplement par la certitude que le sujet peut faire confiance en Dieu et être assuré qu’il ou elle est acceptée quelle qu’il ou elle soit.

De la démarche existentielle à la démarche communautaire

Afin que l'avenir lui soit ouvert.

Je garde de l'enseignement de Paul l'idée que – pour reprendre un vocabulaire contemporain – croire en Dieu me donne une sorte de statut, la conscience d'avoir une place dans le monde, que cette place est unique et qu'elle fait partie d'un tout : la terre, le cosmos. En somme, ma foi en Dieu, en me mettant dans cette position de vis-à-vis de Dieu, me donne, – faut-il dire : par voie de grâce en retour ? ! – une

« identité ». Dans cet ensemble, chaque être humain est unique et a un rôle à jouer pour que le monde ait un avenir.

Dans le vis-à-vis avec Dieu, nous prenons conscience à la fois de la potentialité extraordinaire de notre vie et de la capacité organisatrice humaine, mais aussi de la relativité de notre œuvre et du danger de failles que comportent nos choix, nos projets, nos engagements, donc la conscience de nos limites.

Le seul questionnement qui semble revenir avec constance tout au long de l'histoire de l'humanité est celui du sens de l'existence.

Etre justifié par Dieu en vertu de ma foi signifie donc être reconnu par lui dans mes capacités de gérer mon existence et d'apprécier la beauté de la vie, en même temps que je reconnais la nécessité d'être rétabli, réconforté, redynamisé, réhabilité. Ainsi ma foi et le regard de Dieu sur moi m'aident à reprendre conscience de ma place dans l'univers ; à comprendre que cet univers, je ne peux ni m'abstraire, ni m'extraire. Qu'au contraire, je ne peux vivre qu'en relation avec ce monde, avec ces autres humains que moi.

Le besoin d'être justifié peut alors être défini comme le besoin de savoir que j'ai une place dans cet univers : ma place, le besoin de savoir que je suis à la bonne place, de savoir que j'ai un rôle à jouer, – un rôle important, aussi mineur qu'il paraisse tout d'abord, de le savoir toujours à nouveau.


Conclusion : La raison d'être de la religion : aider à vivre.

 

Qu'il serait prétentieux et faux de penser que ces propos viseraient à remplacer un « dogme » existant ! Mais, dans la mesure où le dogme est synonyme d'enseignement et qu'un tel dogme n'est donc pas immuable, ils se veulent des pistes, des impulsions pour une réflexion qui fait évoluer cet enseignement et permet à chacun de vivre sa foi. En effet, tout enseignement qui tient compte du contexte vital de ceux auxquels il s'adresse, évolue – fut-ce de manière peu spectaculaire – au rythme du changement de leur vision du monde.

Ainsi la raison d'être de la religion n'est plus, aujourd'hui, de « sauver » des individus afin qu'ils soient béatement admis dans un royaume qui tomberait du ciel, mais de les encourager à une foi positive, une foi qui met en route – au quotidien et quant au devenir du monde, et constitue la force dont nous avons besoin pour prendre à bras le corps la gestion de ce monde.
Une conception mécanique de la foi qui opérerait une sorte de salut-récompense priverait l'individu de liberté : celui qui aurait pris conscience de son état de perdition, n'aurait d'autre choix que de saisir la planche de salut et la foi ne serait plus la confiance librement consentie, mais une nécessité.

Faut-il transcrire à tout prix le mot « sauver » ? C'est alors par le verbe « libérer » qu'il faut le rendre. La conscience d'être vis-à-vis de Dieu – enfants de Dieu justifiés par la grâce, dirait Paul – libère pour agir, pour vivre, et pour être, autant que faire se peut, … heureux    !
Et puis, ce Dieu si mystérieux n'a-t-il pas pour nous des projets que nous ne connaissons pas ?

 

Ernest Winstein, pasteur,

Président de l’Union protestante libérale de Strasbourg

 

 

 

 

 

 

[1] Frédéric Lenoir, Les métamorphoses de Dieu, ed. Plon 2003

[2] Jean-Paul Willaime, Le retour du  religieux  dans la sphère publique Ed. Olivétan, 2008.

[3] Ibid. p. 35

[4] Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie, -Parcours de la laïcité-, Ed. Gallimard, 1998

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